Aujourd’hui, j’ai envie de rendre hommage à une amie, une amie très chère et de longue date. Appelons-la Lana, le prénom dont elle signe son blog qui est très lu.
J’ai connu Lana il y a une vingtaine d’années, à l’époque où les forums internet étaient nombreux sur le web, plateformes d’échanges qui permettaient les rencontres “virtuelles” entre personnes partageant les mêmes centres d’intérêts.
Ce forum-là était médical et s’appelait “Atoute”.
J’aimais la manière incisive qu’avait Lana de s’exprimer, son intelligence vive, sa grande culture – elle est libraire. J’aimais son avatar qui en disait long : une femme à l’air très décidé, le poing dressé.
Assez vite, nous avons échangé des messages privés : Lana militait pour que l’on cesse de stigmatiser les personnes qui avaient affaire à la psychiatrie. J’en étais. Je recherchais ardemment des témoins sincères avec qui partager les traumatismes des internements arbitraires, des diagnostics hasardeux, des médicaments tellement abrutissants, capables de chambouler votre vie pour longtemps. Je recherchais des personnes qui puissent comprendre ce pan infiniment douloureux de ma vie d’alors, j’entrais en empathie avec tous ces interlocuteurs et interlocutrices dont la maladie ou la maltraitance subie en milieu hospitalier psychiatrique avaient brisé les ailes, ruiné les rêves de jeunesse, hypothéqué la carrière professionnelle et la vie familiale. Parfois pour toujours.
Il arrivait qu’un participant au forum ne s’exprime plus du jour au lendemain. On apprenait par d’autres qu’il s’était suicidé.
“Axolon” dont je n’ai connu ni le visage ni le vrai nom, je ne t’ai pas oublié…
Pour toi, pour Cécile et pour d’autres, Lana et moi avons continué à écrire et à nous battre.
Lana et moi nous sommes aussi rencontrées, très souvent. Et depuis longtemps, chaque année, elle passe quelques jours chez moi, en été ou à l’automne. Retrouvailles toujours riches de ce long vécu commun et de nos combats respectifs.
Lana milite et Lana écrit, très bien et très intelligemment.
Elle tient un blog, depuis encore plus longtemps que moi.
Ce blog était dédié au témoignage et à l’information concrète sur la schizophrénie. Lana était reconnue pour sa pertinence et sa compétence sur ce sujet, et elle intervenait parfois dans des colloques.
Oui mais voilà.
Diagnostiquée schizophrène vers ses 18 ans, Lana aura passé pas loin de trente ans à errer de psychiatre incompétent en praticien malveillant, pas assez à l’écoute, pas assez au fait des recherches et évolutions de leurs disciplines, pas assez pointus dans leurs diagnostics.
Lana a été gavée presque trois décennies durant de neuroleptiques, ralentie dans ses interactions sociales, étouffée dans ses émotions et ses expressions faciales. Lana a été “soignée” presque trente ans pour une pathologie à laquelle elle avait été identifiée…et qui n’était pourtant pas la sienne.
Après des décennies de médication pour une maladie psychotique dont elle n’était même pas atteinte, la schizophrénie, Lana apprend récemment, grâce à l’impulsion intuitive d’une de ses amies médecin, et à travers des tests précis et sérieux réalisés par une spécialiste en ce domaine, qu’elle est en fait autiste sans déficience intellectuelle (et loin de là !).
Trajectoire de vie qui prouve de manière dramatique pour elle – et pour bien d’autres – à quel point la médecine psychiatrique peut se tromper, et lourdement !
Alors aujourd’hui je rends hommage à Lana, à sa rage de témoigner, de s’en sortir malgré tout après tant de souffrances et de maltraitances endurées, de remettre les pendules à l’heure et d’informer encore et encore de ce qu’elle sait pour l’avoir vécu, étudié, fouillé à fond, et si longtemps.
Chers amis, si la trajectoire de Lana vous touche, je vous invite ardemment à lire son blog, dans cet article et aussi les précédents.
