Depuis des mois, ma fille de 32 ans et moi, nous échangeons au sujet de deux grandes figures de la Shoah, elle passionnée de la personne d’Anne Frank, et moi depuis très longtemps pleine d’amour et de reconnaissance pour Edith Stein, sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, philosophe allemande juive convertie au catholicisme et devenue carmélite. Deux âmes ardentes et belles, enflammées d’amour pour Dieu, sa Création, des créatures aimées, deux mains d’écriture si inspirantes, données à la méditation l’une dans la cachette de l’Annexe, l’autre au carmel d’Echt, rattrapées par leur judéité, arrêtées, déportées vers les camps de l’horreur, Anne Frank avec sa mère Edith et sa sœur Margot, Edith Stein avec sa sœur Rosa. Les deux sœurs Stein n’échapperont pas le 9 août 1942 aux chambres à gaz et au four crématoire d’Auschwitz. Anne et Margot Frank succomberont quant à elles au typhus à Bergen-Belsen juste avant la libération des camps au printemps 1945, tandis que leur mère Edith était morte d’épuisement quelques mois auparavant à Auschwitz.
Hantée par le martyre de ces cinq figures féminines si injustement immolées à la haine antisémite nazie, ma fille chérie a choisi une villégiature à rebours de nos envies d’évasion ensoleillées pour ce week-end prolongé de l’Ascension. Avion et train l’ont menée jusqu’à la jolie ville polonaise d’Oświęcim, dans un cadre bucolique enchanteur qui ferait presque oublier qu’à deux pas de la paisible bourgade se trouvent les lieux qui symbolisent à jamais l’enfer installé sur terre pendant la seconde guerre mondiale, les camps de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.
Il lui a fallu du courage et de l’abnégation pour endurer trois heures de visite guidée des lieux hier matin, malgré une oppression croissante à l’approche des installations infernales. Pesanteur ressentie jusque dans son corps pour ce pèlerinage au cœur des lieux où régna le mal absolu. Le guide était heureusement sobre et compétent.
Ce matin, à l’aube qui pointe en Pologne de bien bonne heure, elle a accompli une démarche plus libératrice et hautement symbolique.
Hier après-midi, après l’éprouvante visite, en cheminant, elle s’était retrouvée aux portes du Carmel situé non loin des camps, et y avait trouvé paix et réconfort, inspiration de prière dans la chapelle dédiée entre autres à Edith Stein. Et elle avait observé attentivement la nature environnante pour réaliser au mieux son projet de longue date. Elle a alors repéré l’endroit idéal : un lieu de verdure et de rochers peu visité, au bord de la rivière où furent jetées jour après jour pendant l’holocauste les cendres des victimes de la folie génocidaire.
De très bon matin donc, la voici traversant prés et forêts, au chant des oiseaux et au voisinage de chevreuils peu farouches, pour déposer près de ce cours d’eau gorgé il y a quelque quatre-vingts ans des cendres de tant d’innocents immolés, une plaque commémorative imaginée par ses soins et rapportée de France à la mémoire des deux Edith : Edith Frank, la maman d’Anne et Margot, et Edith Stein, fauchées toutes deux à trois ans d’intervalle à respectivement 44 et 50 ans.
Ces deux femmes allemandes que la vie n’a pas réunies ont trouvé la même fin tragique dans les camps de la mort.
Unies par leur incroyable fécondité humaniste, littéraire et spirituelle, la mère du plus grand témoin par l’écrit du martyre juif des années 40 et la carmélite si inspirante qui accepta de mourir avec sa sœur pour leur peuple (“Komm, wir gehen für unser Volk”), unies par un même prénom, sont désormais unies en un lieu paisible et reposant sous une plaque commémorative déposée là pour la postérité, et avant tout pour leur donner à chacune une sépulture décente, elles qui connurent l’abject du déni d’humanité.
Edith Frank et Edith Stein, l’une mère et l’autre sœur de tous en humanité, reposez désormais en paix…
Véronique Belen
31 05 2025