Le mercredi 16 juillet, j’ai vécu avec l’aînée de mes filles, âgée de 32 ans, un moment rare, précieux et profondément évangélique.
Nous séjournions en début de semaine quelques jours dans un village voisin de Taizé, en Bourgogne, et assistions tous les soirs à la prière de la communauté œcuménique fondée par frère Roger.
Instants suspendus dans le temps, moments de grâce, de recueillement, de beauté musicale et de ressourcement spirituel. Chaque soir, nous sommes restées un peu plus longtemps, jusqu’à l’extinction des bougies après 22 h à la dernière veillée de prière, la psalmodie s’atténuant alors peu à peu à mesure que l’église de la Réconciliation, pleine à 20h30, se vidait progressivement des jeunes rassemblés là dans une sobre ferveur et un respect touchant du silence.
Mais plus tôt, dans l’après-midi, ma fille avait voulu visiter la petite église Sainte Marie-Madeleine du village de Taizé (voir photo).
Nous voilà donc parties vers 17h30.
Quand nous poussons la porte de la petite église, des chants résonnent à l’intérieur. Je pense d’abord à une messe du soir, mais non, ce sont des chants de Taizé entonnés par des jeunes rassemblés là, peut-être par hasard, et les ornements liturgiques ne sont pas présents. Nous nous asseyons et chantons avec eux.
Un homme se lève et déclare que nous allons célébrer la Sainte Cène. Je le suppose pasteur protestant, il est simple et habillé comme nous tous.
Il demande si nous avons dans nos sacs de quoi faire mémoire du corps et du sang du Seigneur.
Point de vin, point de pain, mais un sachet de fruits secs, un paquet de biscuits et une gourde d’eau.
Il pose ces offrandes sur l’autel.
Il prononce les paroles de bénédiction habituelles d’une Sainte Cène protestante et nous invite à former cercle autour de l’autel. Nous sommes une quinzaine. Comme je pratique désormais ma foi en Eglise protestante et ma fille depuis un an en groupe Taizé, nous nous joignons à cette joyeuse assemblée, et faisons corps pour célébrer le repas du Seigneur en disant le Notre Père.
Le pasteur relève que nous sommes dépourvus de pain et de vin, et que nous voilà comme les premiers chrétiens qui mettaient en commun ce qu’ils apportaient pour un culte et un repas.
Et nous communions, rassemblés par la foi, l’Esprit Saint et le Seigneur Jésus présent quand deux ou trois sont réunis en son nom.
Nous communions, qui à un biscuit, qui à une amande ou une noisette, et ceux qui le souhaitent boivent de cette eau mémorielle.
Et là, je ressens profondément dans ma chair et mon âme la plénitude qui m’est donnée depuis longtemps à chaque communion au Corps du Christ, que ce soit naguère dans l’Eucharistie catholique, actuellement dans la Sainte Cène protestante et ce jour dans cette célébration hors du temps, des conventions et des préjugés.
Je ressens profondément, en consommant cette noisette partagée dans la ferveur de Taizé, que le Seigneur est là, présent, qu’il se donne avec amour à moi, à ma fille, à tous les participants de cette Sainte Cène improvisée mais si touchante.
Je suis d’autant plus bouleversée que ce jour du 16 juillet, je fête les quatorze ans de ma consécration au Seigneur dans des vœux de chasteté, vœux confiés et renouvelés l’avant-veille à un prêtre dans le cadre de la prière du soir à l’église de la Réconciliation.
Ma fille et moi sortons de l’église Sainte Marie-Madeleine le cœur gonflé de joie et de reconnaissance.
Nous nous arrêtons à côté du parvis sur l’humble tombe de frère Roger et rendons grâce pour ce jour béni, pour l’intuition prophétique de cet homme à la sainteté aussi évidente que dissimulée dans sa simplicité et son charisme de réconciliation des chrétiens.
Sereine et confiante, je bénis le Seigneur des choix qu’il m’a amenée à poser ces quinze dernières années, je rends grâce aussi pour les semences de foi déposées dès sa tendre enfance dans le cœur de ma fille et pour cet arbre vigoureux de fidélité et de témoignage qui croît d’elle et déjà, rayonne par sa personne en vibrant écho à l’Évangile.
Elle était venue pour la semaine de rencontres islamo-chrétiennes.
Nous quittons Taizé, toutes deux raffermies dans notre nécessité de témoigner inlassablement de l’universalité de Dieu et de son incapacité à se laisser enfermer dans d’étroites catégories humaines et religieuses.