Comme Jésus était en chemin avec ses disciples, il entra dans un village, et une femme du nom de Marthe l’accueillit dans sa maison. 39 Elle avait une sœur appelée Marie, qui s’assit aux pieds de Jésus et écoutait ce qu’il disait.
40 Marthe était affairée aux nombreuses tâches du service. Elle survint et dit: «Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse seule pour servir? Dis-lui donc de venir m’aider.»
41 Jésus lui répondit: «Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses, 42 mais une seule est nécessaire. Marie a choisi la bonne part, elle ne lui sera pas enlevée.
Luc 10, 38-42, traduction Segond 21
J’ai eu la chance, ce matin, d’entendre cet extrait d’évangile bien-aimé dans ma paroisse réformée, et c’est une femme qui donnait la prédication. Changement de perspective par rapport aux homélies catholiques psychologisantes et qui finissent toutes par dire que nous devons nous ressourcer aux pieds du Verbe de Dieu comme Marie sans oublier pour autant de demeurer aussi des Marthe au service de l’Eglise, de la paroisse, allègrement et habituellement confondues avec la Vigne même de Dieu. Comment rabrouer Marthe quand on sollicite sa bonne volonté de petite main paroissiale à longueur d’année pastorale ? Nos curés tentent de se/nous redonner bonne conscience en invoquant l’été qui permet de se ressourcer spirituellement en freinant un peu l’activisme quotidien. Temps de prière prolongé, retraite consentie, on s’habille un peu en mode Marie pour recharger les batteries et redevenir bien vite Marthe à la rentrée de septembre – mais en étant priées de ne plus rouspéter devant la tâche…
Ce matin, notre prédicatrice détaillait davantage le caractère et le comportement des deux femmes. Et montrait peu d’indulgence pour Marthe s’affairant à un service compliqué plutôt que de se laisser servir et enseigner par un Messie présent providentiellement et pour encore peu de temps. L’urgence était pour elle à l’écoute assidue de sa Parole, le modèle à suivre était, selon l’indication même de Jésus, Marie dans sa contemplation ardente et méditative. Et le service pourrait bien en découler plus tard, par une action fécondante.
J’aime aussi quand mes amies rebelles en Eglise catholique soulignent que Jésus a réalisé dans cette scène bien connue l’impensable il y a 2000 ans : ne pas rabrouer une femme s’asseyant comme disciple à ses pieds en négligeant les casseroles auxquelles sa sœur de mauvaise humeur voulait la rappeler. Jésus est celui qui affranchit la femme de foi d’une servitude aliénante. Jésus préfère une Marie buvant ses paroles dans une attitude de réception absolue qu’une femme agitée au service de ses compagnons masculins et de lui-même, hôte de choix. Il ne revendique pas d’être traité en prince à qui honneurs et service seraient dus comme incompressibles. Le Seigneur n’en demande pas tant !
Ce qu’il désire, avant toute chose, c’est notre écoute, dans la méditation de sa Parole lue et relue, dans la prière par laquelle il nous suggère des inflexions de vie, dans une attitude qui remet l’âme à lui seul et pas à des intermédiaires cléricaux, cette sorte de SAV de l’Evangile qui bien souvent le détourne au profit du fonctionnement interne d’une petite cellule paroissiale rabougrie dont le curé est le maître incontesté.
Jésus n’a cure de la présentation et de la multiplicité des plats servis par Marthe. Il nourrira son corps de ce qu’il trouvera en chemin, prévu par la générosité du Père, pour qu’il assure sa mission d’annonce du Royaume.
Non, ce que Jésus désire avant toute chose, c’est l’écoute absolue de Marie de Béthanie, une écoute qui surpasse même celle de ses disciples masculins, car Marie y adjoint l’amour, la conscience de la rareté précieuse de la présence dans sa maison de son Bien-Aimé, et la nostalgie de tous les projets personnels qu’elle aurait pu construire avec lui.
Jésus se doit à sa mission, elle le sait, elle en pleure dans sa solitude mais elle l’accepte humblement, dans une très grande soumission à la Volonté du Père qui sait ce qu’il exige, ce qu’il fait et comment il récompensera ses enfants les plus fidèles et les plus observants des commandements donnés dès les commencements au Peuple Elu.
Marie n’est pas seulement une facette psychologique du chrétien. Marie est une jeune femme au cœur pur, née et incarnée dans le peuple juif du temps de Jésus, à Béthanie, soumise aux sautes d’humeur de sa sœur Marthe et ravagée plus tard par le deuil de son frère Lazare, Marie est une icône de sainteté contemplative, éprise à vie de son seul Seigneur, et que lui, à revers de leur temps, de leurs familles et par la suite des Eglises qui ont pris à travers les siècles un malin plaisir à dénaturer sa chaste pureté, lui Jésus le Messie a discernée, reconnue, honorée et mise à part.
Du sacrifice consenti sur terre par ces deux cœurs à l’insondable pureté, de ces deux âmes éprises l’une de l’autre qui se cherchent éperdument depuis le Cantique des Cantiques et jusqu’à la consommation des siècles, Dieu, dans sa grande justice, se souviendra :
Marie a choisi la bonne part, elle ne lui sera pas enlevée.
Image : Vitrail de l’église Saint Blaise de Westhalten (68)
