Une fois n’est pas coutume, je vais citer un extrait du Livre de Ben Sira le Sage, dont j’apprécie certaines pages, et d’autres, teintées d’une misogynie assumée, beaucoup moins.
Cet extrait est la première lecture de ce dimanche 31 août 2025 :
Mon fils, accomplis toute chose dans l’humilité, et tu seras aimé plus qu’un bienfaiteur. Plus tu es grand, plus il faut t’abaisser : tu trouveras grâce devant le Seigneur. Grande est la puissance du Seigneur, et les humbles lui rendent gloire. La condition de l’orgueilleux est sans remède, car la racine du mal est en lui. Qui est sensé médite les maximes de la sagesse ; l’idéal du sage, c’est une oreille qui écoute.
Ben Sira le Sage, 3, 17-18. 20. 28-29
Textes liturgiques©AELF
Il est évident que Ben Sira s’adresse ici à un homme, qu’il appelle “Mon fils”, pour l’édifier. Il ne lui viendrait sans doute pas à l’idée, dans son époque (IIe siècle avant JC) et sa culture, d’édifier une femme qu’il méprise de toute façon. Je ne puis citer tous les versets de ce Livre qui sont une charge violente contre les femmes, considérées comme des accessoires de l’homme et classées en deux catégories : “la femme vertueuse et la femme dépravée”. On lira pour en prendre conscience les chapitres 25 et 26. J’en retiens une des maximes les plus modérées :
“Une femme qui sait se taire est un don du Seigneur.” (Ben Sira 26,14).
Je ne vous détaille pas les jugements négatifs à l’emporte-pièce sur des “catégories” de femmes que l’auteur abhorre.
Eh bien, au nom de la Sagesse, il est peut-être temps de faire réponse à “l’Ecclésiastique” sur ces sujets brûlants.
Eh non, pour le malheur des hommes qui se gargarisent de ces versets, je ne suis plus depuis quelque temps une femme qui se tait, quoique l’Eglise catholique en ses représentants cléricaux ait tout tenté pendant vingt ans pour étouffer ma parole, depuis le confesseur qui me conseillait d’être silencieuse comme un santon de crèche, jusqu’au curé de paroisse, de mèche avec mon mari toxique et manipulateur, pour faire enfin interner la “folle du logis” (ce sont ses propres mots au sujet de mes inspirations spirituelles qu’il attribuait, sans avoir daigné vraiment m’écouter, à l’imagination).
D’ailleurs, je soupçonne tous les séminaristes d’avoir été gavés de ce Livre de l’Ecclésiastique, tant nombre de prêtres ont vis-à-vis des femmes des réactions stéréotypées qui semblent émaner tout droit de ces versets hautement misogynes.
Pour exemple au chapitre 9 :
01 Ne sois pas jaloux de la femme de ton cœur : tu lui donnerais l’idée de te faire du mal.
02 Ne livre pas ton âme au pouvoir d’une femme : elle prendrait de l’ascendant sur toi.
03 Ne va pas voir une femme de mauvaise vie : tu tomberais dans ses filets.
04 Ne fréquente pas une chanteuse, de peur de te laisser prendre à ses artifices.
05 Ne fixe pas ton regard sur une jeune fille, de peur d’être puni à cause d’elle.
06 Ne te livre pas aux prostituées : tu y perdrais ton patrimoine.
07 Ne promène pas tes regards dans les rues de la ville et ne rôde pas dans les coins déserts.
08 Détourne les yeux d’une jolie femme, ne fixe pas ton regard sur une belle étrangère. La beauté féminine en a égaré beaucoup, et l’amour s’y enflamme comme un feu.
09 Ne t’assieds jamais près d’une femme mariée, et dans un banquet ne t’enivre pas avec elle, de peur que tu t’en éprennes et que ta passion entraîne ta perte.
Découvrant ces versets, j’ai compris un jour, il y a vingt-cinq ans, pourquoi le curé dont je parlais plus haut, invité à déjeuner un dimanche chez nous, ne s’était préoccupé avec empressement que de mon mari à la foi pourtant labile, alors que j’étais pour ma part dans une soif spirituelle qui envahissait toute ma vie, raison de cette invitation de ma part. Mais on ne peut pas avoir été formé neuf ans dans un séminaire de l’Emmanuel et en sortir capable de prêter attention à une paroissienne, mariée et mère de famille, qui sort de son rôle “d’aide accordée à un époux” pour dévorer la Bible et s’adonner à l’oraison…
Bref.
J’en reviens à la citation du jour, la leçon d’humilité de Ben Sira aux jeunes hommes. Très bien. Encore faudrait-il que ces messieurs comprennent que la racine du mal d’orgueil est en eux ! Je le vois même obstinément agrippé à leur chromosome Y, tandis qu’ils n’aiment rien tant, clercs et autres, que de donner aux femmes de leur entourage des leçons d’humilité.
A ce titre, je mets au défi quiconque de me trouver dans l’Evangile une seule situation où le Christ Jésus ait donné à une femme une injonction d’humilité. Il y en a évidemment dans l’œuvre fantaisiste de Maria Valtorta, misogyne notoire, mais je parle là des vrais évangiles canoniques.
En Luc 1, 48, dès le début de son Magnificat, Marie se déclare humble, et oui, elle l’est. Elle est une jeune fille humble, comme le sont la très grande majorité d’entre elles, habituées depuis leur plus jeune âge à être humiliées, dans les cours de récréation, comme pleurnichardes et pas assez bonnes aux jeux de ballon pour y être conviées. Humiliées dès la naissance dans certaines cultures, car elles n’ont pas l’heur d’être nées garçons – quand elles ne sont pas avortées d’office en contrées asiatiques pour avoir été détectées filles – humiliées dans les travaux domestiques tandis que leurs frères jouent dehors entre eux, humiliées dès la puberté sous des interdits et des voiles parce que leurs beaux cheveux pourraient mettre les mâles en rut. Et faut-il ajouter à ces faits accablants les petites Afghanes et Iraniennes qui n’ont même plus le droit d’aller à l’école, en ce XXIe siècle ? Une femme qui s’instruit et risque ainsi d’entrer en contestation avec le sort qu’on lui réserve, mais quelle horreur pour leurs futurs maris qui ne les rêvent qu’obéissantes et à leurs services domestiques et sexuels !
Alors bien sûr, comme l’a fait hier sur les réseaux sociaux un adepte de la fraternité Pie X dans l’espoir de m’y convertir, et pour me remettre à ma place de femme dans la conception de cette église-là, je me suis pris de sa part de belles leçons d’humilité, car dans tout ce que j’avais à exprimer, lui l’homme réputé humble ne voyait que de l’orgueil démesuré provenant en direct du diable.
Fort bien.
Revenons-en cependant à l’Evangile, et en particulier à celui d’aujourd’hui (Luc 14, 1. 7-14) où il est question de choisir les meilleures places à des noces. Visiblement, Jésus s’adresse là encore aux pharisiens et à leurs invités masculins, qui ont le libre choix de leurs places, les femmes étant certainement reléguées, comme en synagogue, dans une autre salle. Et chacun de vouloir se retrouver à la table d’honneur.
Humilité masculine, quand tu nous tiens !
Observez donc une messe festive – ordination diaconale, sacerdotale ou épiscopale – qui, dites-le moi, occupe ce jour-là le chœur jusqu’à en déborder, avec accoutrements chatoyants de circonstance, et mitres qui rivalisent de hauteur ?
Ces très humbles clercs, bien sûr !
Allumez la télévision un jour d’intronisation ou d’enterrement de pape, et vous pourrez chanter comme Patrick Juvet :
“Où sont les femmes ?”
Mais bien sûr, moi qui ose ces propos, je suis enflée d’orgueil comme la grenouille de la fable de La Fontaine, et prête à éclater.
Il semblerait que les jeunes gens à qui s’adressait Ben Sira aient très bien acquis la leçon sur l’humilité, mais avant tout pour l’imposer aux femmes et la dédaigner pour eux-mêmes !
Et ainsi des disciples de Jésus, qui suscitaient son agacement répété quand ils se querellaient entre eux pour avoir la meilleure place à ses côtés ou être le plus grand (Marc 9, 33-35), qui ne comprenaient rien à ses annonces de sa Passion, tandis que les femmes qui le suivaient l’oignaient dans cette perspective, qui tentaient d’éloigner avec mépris les femmes implorant une guérison pour elles-mêmes ou une personne aimée, qui s’étonnaient de voir Jésus parler à une Samaritaine à laquelle il avait fait choix de révéler sa messianité, et pas à eux (Jean 4, 1-42)…
On pourrait allonger la liste des incompréhensions endurées par Jésus de la part des pharisiens en permanence, et de la part de ses propres disciples pendant toute leur itinérance commune, jusqu’à leur désertion au Vendredi Saint.
Je le réaffirme : en aucun point de l’Evangile, le Seigneur ne se permet de donner à une femme une leçon d’humilité.
D’où vient alors que tous mes contradicteurs sur le net s’échinent à me faire passer pour orgueilleuse, parce que j’ose une parole franche à leur égard, qui leur déplaît et les pique au vif ?
Eh bien pour conclure, je vais dire ce que je crois du plus profond de ma foi dans le Christ Jésus, lui qui nous a promis son second avènement : quand il reparaîtra, lui de tous les hommes mâles absolument le seul réellement humble et sans aucun péché, il dira probablement à ses frères en humanité qui l’ont tant contristé :
“Mon frère, qu’as-tu fait de la plus petite de mes sœurs que je t’avais envoyée pour dessiller ton regard orgueilleux sur elle et sur le monde ? Qu’as-tu fait de son quotidien, qu’as-tu entrepris pour son éducation ? Pourquoi as-tu orchestré cette distorsion de ma Parole et des commandements de mon Père, était-ce pour mieux te la soumettre, toi qui n’es qu’un ver rongé par l’orgueil, l’ambition et la concupiscence ? N’as-tu donc pas compris pourquoi je vous prévenais que je placerais mes brebis à ma droite et les boucs, rétifs à ma Parole et à mon exemple, à gauche ?” (Cf. Matthieu 25)
Maintenant, libre à chacun de poursuivre sa petite route avec pour boussole un Evangile tronqué ou balayé du revers de la main, ou de prendre au sérieux le Seigneur, lui qui revient bientôt pour rendre enfin justice à toutes ses sœurs bien-aimées et dénigrées voire opprimées par leurs vis-à-vis masculins, et ce depuis la nuit des temps…
