En ce temps-là, Jésus se mit de nouveau à parler aux grands prêtres et aux anciens du peuple, et il leur dit en paraboles :
« Le royaume des Cieux est comparable à un roi qui célébra les noces de son fils.
Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir.
Il envoya encore d’autres serviteurs dire aux invités : “Voilà : j’ai préparé mon banquet, mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ; tout est prêt : venez à la noce.”
Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce ;
les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.
Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et incendia leur ville.
Alors il dit à ses serviteurs : “Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes.
Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce.”
Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives.
Le roi entra pour examiner les convives, et là il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce.
Il lui dit : “Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?” L’autre garda le silence.
Alors le roi dit aux serviteurs : “Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.”
Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. »
Matthieu 22, 1-14
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
Jusqu’à quand va-t-on s’amuser à décortiquer, psychologiser, cléricaliser les paraboles de Jésus ? Jusqu’à quand va-t-on se sentir de bons chrétiens face aux “vilains juifs” qui ne l’auraient pas reconnu pour qui il était en son temps ? Jusqu’à quand va-t-on encore effectuer du tri dans les évangiles, en prétendant à la suite d’exégètes de renom mais de peu de foi, que Jésus aurait dit ceci mais pas cela, tout en niant l’inspiration divine de Marc, Matthieu, Luc et Jean ? Jusqu’à quand va-t-on charcuter ce texte essentiel à notre foi et à notre destinée humaine, en lui préférant en outre bien souvent, dans la prédication des différentes Eglises chrétiennes et les traités théologiques, les écrits de Paul pourtant non dénués “d’hommerie” ?
J’aimerais, pour une fois, rappeler que Jésus s’adressait en des termes simples à des simples. Ses paraboles, adaptées à son époque et à sa culture rurale et familiale, n’étaient peut-être pas aisément accessibles a priori, surtout pour les doctes qui ne rêvaient que de le piéger et de le contrer, mais elles n’étaient pas non plus aussi hermétiques que nos prédicateurs voudraient nous le faire croire, en nous livrant en chaire leur propre interprétation, avec maints détails historiques, comme si le Verbe ne pouvait pas toucher directement nos cœurs de lecteurs et de laïcs, en nous donnant part à son Esprit, pour comprendre où il veut en venir.
Un autre élément essentiel pour comprendre le langage de Jésus, c’est qu’il est intemporel, et qu’il a quelque chose de fort à nous dire quelle que soit l’époque traversée, et ce depuis vingt siècles. Ainsi, Jésus lui-même ne savait-il peut-être pas, comme il le sous-entend en Matthieu 24, 36, que le temps de son absence terrestre, avant son retour en gloire, durerait aussi longtemps. Les premiers chrétiens espéraient ce retour imminent et gardaient ainsi leurs lampes allumées. Les chrétiens d’aujourd’hui, surtout ceux des Eglises historiques, se sont assoupis et s’enivrent de rites immuables et de nuées d’encens, riant au nez des “vierges sages” qui attendent réellement le retour de l’Epoux. Ils s’auto-persuadent de la pérennité de leur Eglise, ayant finalement tout à perdre si le Christ revenait enfin : prérogatives sacerdotales et masculines, vêtements somptuaires, patrimoine architectural religieux, objets de culte livrés à la vénération des visiteurs dans les cryptes et les musées des cathédrales… “Là où est ton trésor., là aussi sera ton cœur.” (Matthieu 6, 21)
Aujourd’hui, même si on devait en venir de nouveau à m’accuser de fondamentalisme ridicule – mes contradicteurs adorent me mettre dans des cases, à leur image étriquée – je voudrais lire cette parabole des noces du Fils de Roi pour le sens premier qu’elle nous enseigne.
Voici donc un roi dont le cœur se réjouit infiniment de célébrer enfin les noces de son fils, car comme Jacob travaillant d’arrache-pied de longues années chez son futur beau-père Laban pour obtenir le droit d’épouser sa bien-aimée Rachel (Genèse 29), le Fils de ce Roi, Jésus Messie d’Israël, Fils de Dieu, s’est donné à corps perdu au monde pendant des siècles pour la conversion des âmes, livrant sa chair et son sang sur la Croix d’un jour et sur l’autel durant 2000 ans, intercédant incessamment pour ses frères et sœurs en humanité, veillant sur nous à chaque instant pour nous arracher aux griffes du Mauvais, qui règne et divise de plus en plus de nos jours dans ce monde en déliquescence.
Souvenons-nous de l’incroyable manœuvre de Laban, en Genèse 29, qui ne souhaite pas marier sa cadette Rachel, dont Jacob est pourtant épris, avant son aînée Léa. Laban poussera l’intrigue jusqu’à faire pénétrer Léa et non Rachel sous la tente de Jacob pour la nuit de noces. Et de cette union consommée dans la confusion, Jacob ne pourra plus se délier. Il reprend son dur labeur pour son beau-père fourbe jusqu’à obtenir aussi Rachel comme épouse.
Quel rapport avec la parabole de ce jour, me direz-vous ?
J’en vois un, et non des moindres.
Si notre Seigneur Jésus Christ avait eu tout le loisir de mener sa vie terrestre selon ses projets, ses désirs et selon son cœur, à n’en pas douter, il aurait épousé la seule femme capable de l’émouvoir jusqu’aux larmes en Jean 11, 33, à savoir, Marie de Béthanie, sœur de Marthe et Lazare – qui n’est pas la même que Marie de Magdala, faut-il le rappeler encore et encore (voir liens ci-dessous). Cette Marie qui écoutait Jésus avidement, passant outre les reproches acerbes de sa sœur aînée Marthe (Luc 10, 38-42), cette Marie qui versa sur les pieds de son bien-aimé le plus précieux des parfums – onction de Béthanie (Jean 12, 1-8) – s’attirant là encore les sarcasmes de Judas. Oui, l’Evangile nous livre comme dans un écrin la complicité de Jésus avec cette Marie, et son réflexe de toujours prendre sa défense face à celles et ceux qui la jalousent et la maltraitent…
Or, Jésus se devait à sa mission rédemptrice il y a 2000 ans, et il le savait fort bien. Point de mariage pour lui, point de réjouissances nuptiales, et point d’époux pour Marie de Béthanie qui demeurerait consacrée à cet inaccessible fiancé dans la virginité, tandis que la Croix du supplice se profilait à l’horizon de Jérusalem pour le Serviteur souffrant…
Et voici que depuis 2000 ans, à la suite de l’Apôtre Paul, l’Eglise se revendique “Epouse du Christ”.
Je ne sais plus qui disait : “Jésus annonçait le Royaume de Dieu, et avec Paul, c’est l’Eglise qui est venue”.
L’Eglise, subrepticement Epouse du Christ, et arrogante de l’être, tout comme Léa introduite à l’insu de Jacob sous sa tente pour devenir sa première épouse…
Léa épousée, Rachel humiliée.
Léa féconde en enfants pour Jacob, Rachel longtemps stérile.
L’Eglise féconde en baptisés pour le Seigneur, Marie de Béthanie première des vierges du Seigneur, prémices de tant de consacré/e/s dans la chasteté et le renoncement à la maternité/paternité.
L’Eglise grouillante de Marthe se revendiquant efficaces servantes, et jalousant leurs cadettes contemplatives plus discrètes, mais qui ont la prédilection du Maître.
Le dilemme de Jacob entre Léa et Rachel se poursuit en un parallèle saisissant dans le cœur de Jésus, affublé d’une Epouse-Eglise souvent envahissante, intrigante, capable d’ignobles contre-témoignages à l’Evangile et d’ingratitude envers sa Personne adorable, qui avait pourtant sacrifié dans le sang et les larmes son amour si pur pour Marie de Béthanie au profit de cette Léa qui lui a été imposée pour longtemps…
Mais Dieu son Père serait-il encore plus injuste que Laban ?
Certainement pas.
Dieu voit l’amour pur dans les cœurs purs.
Dieu a voulu rendre féconde en baptisés l’Eglise, mais il n’est pas dupe de ses dérives, de ses querelles intestines, de ses injustices, de ses divisions inextricables. Dieu n’est pas aveugle à la langueur de son Fils après sa fiancée originelle, Dieu n’est pas sourd aux larmes versées par Marie de Béthanie devant toutes les victimes, innocentes comme elle-même en son temps, des Marthe aigries et des Judas vendus au diable…
Le chant qui court depuis le Cantique des cantiques dans le cœur de Dieu lui souffle qu’il est temps de donner Rachel à Jacob, Marie de Béthanie à Jésus.
La vision johannique de l’Epouse de l’Agneau (Apocalypse 21) annonce à la fois le retour glorieux du Christ Jésus et la descente à ses côtés de sa Fiancée de toujours, Marie de Béthanie sa bien-aimée, qui signe enfin l’ouverture du Royaume où leurs noces n’auront pas de fin.
L’Eglise va-t-elle s’aigrir de cette échéance, elle qui a séquestré en ses tabernacles le Corps du Christ pendant vingt siècles, elle qui a arbitrairement confisqué ce même Corps du Christ à tant de baptisés qu’elle en estimait indignes ? L’Eglise s’aigrira-t-elle comme Marthe envers sa sœur élue, comme Léa envers Rachel préférée à elle ?
Si le cœur du Seigneur est limpide dans cette affaire, si les invitations au repas des noces de l’Agneau sont lancées à la multitude, il appartiendra aux baptisés, dont les clercs, de se comporter en invités et non en mariée à l’honneur, faute de quoi, non revêtus du vêtement de noces, ils pourraient bien se retrouver répudiés par un Epoux las de leurs jalousies, de leurs ambitions de suprématie et de leurs grincements de dents.
https://www.histoiredunefoi.fr/meditations-bibliques/15917-elle-avait-une-soeur-appelee-marie-qui-sassit-aux-pieds-de-jesus-et-ecoutait-ce-quil-disait-luc-10-39
Image : Marc Chagall Les mariés de la Tour Eiffel 1938 – 1939 Centre Pompidou