Voilà bientôt six mois que j’ai rejoint une paroisse protestante urbaine, moi qui de toujours ai pratiqué dans les églises catholiques rurales de mon lieu de vie, en conformité avec mon baptême.
Il y a un an, j’affirmais encore ma fidélité paroissiale contre vents et marées, et ce malgré une réelle souffrance tant dans la structure de proximité que dans l’Eglise catholique romaine au sens large. Mais je disais déjà de manière récurrente à mes enfants et amis : “Un jour, je finirai par rejoindre les protestants.” Ce qui, à la fois, me tentait et m’effrayait un peu.
Foncièrement, je ne suis pas une personne versatile qui change de foi “à tout vent de doctrine” (Ephésiens 4, 14). Au contraire, plongée dans l’eau du baptême par mon oncle prêtre et toute une famille fermement croyante dès ma deuxième semaine de vie, il y a bientôt soixante ans, je vivais en cohérence cette appartenance exclusive et de très longue date de toute ma lignée familiale à l’Eglise catholique. Chez moi, on allait à la messe, et on tentait en outre de vivre en cohérence avec les préceptes de l’Evangile, dans la modestie d’une vie rurale et peu prospère.
J’ai déjà évoqué ici les raisons qui m’ont conduite à franchir le pas (voir liens ci-dessous).
Au bout de six mois, je ne peux que constater que mes dilemmes intérieurs se sont considérablement apaisés. Ma pratique n’est plus une obligation et parfois une corvée, quand m’assaillait la pensée de devoir m’agacer à l’homélie et m’ennuyer en deuxième partie de messe de l’immuable rituel. Je me réjouissais d’être lectrice dans ma paroisse, mais ce service m’obligeait à ne manquer aucune messe dominicale, une absence inévitable me contraignant à prévenir et à organiser une suppléance. Ainsi, même les samedis soirs où presque aucun fidèle ne venait, j’étais là, prenant mon mal en patience dans cette église quasi vide qui ne respirait aucun enthousiasme.
Voilà donc déjà un premier point dont je suis délivrée. Je parcours désormais une trentaine de kilomètres en voiture pour me rendre au culte dominical, avec envie mais sans contrainte. Et si je reçois des amis ou s’il vente et tempête, eh bien, je reste chez moi sans sentiment de culpabilité. Je sais que je n’essuierai pas le dimanche suivant des reproches acerbes pour cette absence occasionnelle. Et que pour autant, je retrouverai avec joie mes nouveaux co-paroissiens de culte.
Je me rends ainsi compte désormais que le catholicisme n’est pas qu’une question de foi et de pratique, mais aussi un fort système de pensée dont on n’arrive à se libérer qu’en s’en dégageant peu à peu. Et c’est bien ce que j’éprouve au fil des mois. Un sorte de libération de ma conscience. Penser sur un autre mode.
Oh, cela fait bien des années que je me définis comme “chrétienne” et non comme catholique avant tout ! Je n’ai jamais pu épouser toutes les prises de position magistérielles, et plus le temps passait, plus j’étais en délicatesse avec maintes doctrines catholiques. Mais avec un sentiment latent de culpabilité, de non-conformité, de menace d’excommunication un beau jour à force d’exprimer publiquement des objections au magistère. Il fallait penser comme ci et pas comme ça.
En 2013 déjà, avec toute cette querelle mariage pour tous / manif pour tous, j’étais extrêmement mal à l’aise en tant que catholique sans opinion arrêtée sur le sujet. J’avais ce sentiment pesant de devoir toujours me justifier en tant que pratiquante régulière : non, je ne participerais pas à une “manif pour tous”. Tout comme je n’avais jamais glorifié le fait de faire cinq ou six enfants, voire plus, parce que la contraception était péché. De même, je n’ai jamais porté de jugement péremptoire sur des jeunes et des moins jeunes tentant la vie commune sans mariage ou faisant choix d’un mariage civil ou d’un PACS. Et encore, je n’ai jamais été capable de jeter la pierre à une femme ayant avorté, je n’avais que trop recueilli de confidences désespérées de se retrouver enceinte ou d’avoir subi une IVG douloureuse dans tous les sens du terme. De quel droit, moi, allais-je m’immiscer dans la vie intime d’un couple, dans la conscience troublée d’une femme ne désirant pas, à ce moment-là de son histoire, devenir mère, avec tout le lot d’obligations fortes que la maternité entraîne pour une vie entière ?
Ce ne sont donc pas tant les questions sociétales qui m’ont amenée à prendre du recul par rapport à la pensée catholique : j’ai toujours eu du mal, depuis Jean-Paul II dans ma jeunesse, à accepter les discours péremptoires et injonctifs de ces messieurs en soutane qui de leur vie n’ont jamais eu à appréhender la condition de femme, à vivre dans un corps de femme ou dans un couple au long cours, à se lever la nuit pour un nourrisson ou un enfant malade et à connaître la précarité angoissante quand on a, seule parfois, la responsabilité d’une famille à nourrir.
Mais au-delà des grands poncifs moraux catholiques, il y a plus insidieux encore : une forme de pensée unique là aussi qui anesthésie petit à petit le jugement. Ainsi par exemple, il faut aimer le pape, il faut écouter le pape, il faut lire le pape, il faut citer le pape, il faut obéir au pape et il faut faire preuve d’humilité en se soumettant au pape. Et si ce n’est pas au pape directement, alors à son évêque ou à son curé.
Humilité, vraiment ? N’y a-t-il pas quantité de catholiques conservateurs qui pensent débiter la vérité absolue parce que “Saint Jean-Paul II a dit ou écrit que…” ? N’y a-t-il pas quantité de catholiques opportunistes qui se gargarisent de la moindre phrase du pape François comme s’il était pour eux le Christ sur terre ? Et si nous prenons la liberté, en tant que baptisés éclairés, de contester tel ou tel point de doctrine ou d’encyclique, ne serons-nous pas ramenés manu militari au sacro-saint catéchisme ou de manière ultime au dogme de l’infaillibilité pontificale ? Humilité, ce dogme-là ?
Je redécouvre depuis six mois qu’il est possible d’avoir un esprit et un cerveau qui pensent hors des filtres catholiques tenaces. Au fil des prédications de nos pasteurs, je goûte de nouvelles interprétations des Ecritures, de nouveaux textes proposés à notre méditation, j’éprouve qu’il n’est pas interdit d’avoir un avis sur tel ou tel point de doctrine, qu’elle soit catholique ou protestante, même si cet avis diverge de la majorité “autorisée”. Je respire hors d’un carcan auto-référentiel, je ne fonde plus tous mes espoirs de changement ecclésial sur un synode ou une possible réforme.
Je n’ai pas pour autant quitté un système de pensée pour en adopter un autre. D’ailleurs, en six mois, personne ne m’a demandé si j’avais le désir de me former à la théologie protestante pour être admise au culte ou au service paroissial, personne n’a osé scruter ma vie privée avant de m’inviter à la Sainte Cène.
Ne m’est proposée que la question intérieure fondamentale : est-ce que je reconnais le Christ Jésus comme mon Seigneur et Sauveur ?
A cette question, ma réponse est indubitablement un OUI franc et massif.
Et tout le reste ne m’apparaît plus que comme appartenance, ou non, à un système religieux tissé d’injonctions à croire et à faire ceci et pas cela.
https://www.histoiredunefoi.fr/blog/15254-messe-ou-culte-protestant-mon-experience-et-mon-ressenti
2 commentaires
Bonjour Véronique. Je vous rejoins sur bien des points et c’est un régal de vous lire. Que la catholicité soit un système féodal voire même totalitaire n’est plus un secret pour personne. Ceux que cela révolte finissent par faire un chemin comparable au vôtre, ou bien arrêtent toute pratique religieuse. Ce qui s’en accommodent, ou bien, pire encore, que ce fonctionnement contente tout à fait restent dans l’Église catholique. Chacun son choix, mais, comme le dit le Christ : QUE TON OUI SOIT OUI, ET QUE TON NON SOIT NON… Y aurait-il une sorte de vertu d’obéissance, implicitement, dans le catholicisme, qui valoriserait une docilité inaltérable face aux errements de nos clercs ? Faudrait-il implicitement souscrire à une soumission de la pensée, des paroles et des actes aux injustices et anomalies internes, présentées comme inévitables. C’est vrai que dans un système totalitaire, les dirigeants ne rendent jamais de comptes à qui que ce soit. Sauf que nous sommes au XXIième siècle, et que la protection du fors interne, le droit d’avoir son opinion, de débattre, et de protester sont des droits quasi-sacrés maintenant. Sauf que l’Église catholique est encore largement imperméable à ce genre de concept. Le bilan déroutant du synode de la synodalité le montre : amener des gens différents à se parler et à accepter des opinions opposées a été présenté comme une victoire ! Cela en est une, certainement, mais à côté de cela, pas d’avancées sur le diaconat des femmes et l’ordination de prêtres mariés. Au programme de l’année à venir ? Se hâter avec lenteur dans des études théologiques “d’approfondissement” des sujets qui fâchent. Le pape François a-t-il autant de pouvoir que cela ? Mais la catholicité est-elle encore réformable ? Vous avez raison, les réformés n’ont pas raison sur tout, mais, comme leur nom l’indique, il y a 4 siècles, ils ont su oser réformer l’Église pour sauver le message du Christ. Larguer l’accessoire pour glorifier l’essentiel. Cela n’a pas rempli les temples, mais au moins, ceux qui s’y rendent trouvent-ils la paix de l’âme, et c’est tout ce que je vous souhaite, du fond du cœur, d’ailleurs. Sans exclure de vous y rejoindre un jour…
Merci Véronique pour votre témoignage…
Je reste dans l’église catholique au sein du Mouvement œcuménique Fondacio et grâce à ce mouvement, depuis trente ans j’expérimente le chemin de la libre pensée… j’ai beaucoup côtoyé d’autres confessions y compris les frères protestants. Pendant vingt ans j’ai accompagné un partenariat missionnaire avec La Fondation protestante La Cause et travers celui-ci j’ai été témoin d’énormes richesses comme bien de limites. Mais je peux comprendre que si votre foi catholique vécue jeune puis adulte était comme un carcan, vous ayez quitter. J’habite dans les Yvelines et si vous êtes où venez en île de France, je serais ravi d’échanger avec vous. Bien fraternellement, Vincent