“Pratiquez la circoncision du cœur, n’ayez plus la nuque raide, car le Seigneur votre Dieu est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, vaillant et redoutable, qui est impartial et ne se laisse pas acheter. C’est lui qui rend justice à l’orphelin et à la veuve, qui aime l’immigré, et qui lui donne nourriture et vêtement. Aimez donc l’immigré, car au pays d’Égypte vous étiez des immigrés.
Tu craindras le Seigneur ton Dieu, tu le serviras, c’est à lui que tu resteras attaché, c’est par son nom que tu prêteras serment. Il est ton Dieu, c’est lui que tu dois louer : il a fait pour toi ces choses grandes et redoutables que tu as vues de tes yeux. Quand tes pères sont arrivés en Égypte, ils n’étaient que 70 ; mais à présent le Seigneur votre Dieu vous a rendus aussi nombreux que les étoiles du ciel. »
Deutéronome 10, 16-22
Textes liturgiques©AELF
J’ai beau ne pas être juive, c’est ce Dieu-là que j’aime, reconnais, prie et considère comme le Père du Christ Jésus, comme le Dieu digne de notre louange, comme l’Eternel immuable à qui il n’a pas manqué quelque chose de sa substance et de sa grandeur quand son Fils a vécu son incarnation dans le monde. Ce n’est pas ce Dieu d’Israël antérieur à tout ce qui fut sur terre et dans l’univers qui s’est transformé soudain en un embryon pour aller s’implanter dans le sein de la Vierge Marie.
Jésus est Fils de Marie, pas moins fils d’une femme que n’importe quel individu en ce monde, de sa chair et de son patrimoine génétique à elle, et dans un mystère qui pour le coup nous dépasse, engendré également du Père, Dieu d’Israël et Créateur éternel.
Je reconnais que la Personne non encore incarnée du Fils préexistait dans le dessein, l’amour et la Volonté du Père, en Lui ou près de Lui, notre intelligence terrestre n’est pas apte à saisir cette nuance, bien avant que Jésus ne naisse de la chair de sa mère Marie, vierge à sa conception. C’est là ma foi chrétienne la plus assurée. Nul besoin de me tordre le cerveau dans de vieux traités de théologie indigestes.
Et donc, ce Dieu de relation d’amour n’a à mon sens “changé” que dans la mesure où les souffrances de son Fils bien-aimé, de même que sa vie exemplaire dans le monde, ont ému et affecté ce Père tendre jusque dans ses entrailles.
Notre Dieu Créateur a assumé en Jésus incarné une vraie paternité, une paternité de responsabilité, d’amour prévenant, d’édification ininterrompue dans leurs cœurs à cœurs par la prière de Jésus et la grâce surabondante de Dieu sur lui.
Il a assumé une paternité follement exigeante, attendant de ce Fils qu’il assume dans sa trop courte vie toutes les joies et toutes les peines communes à l’humanité : bonheurs et difficultés en famille, croissance en sagesse et en lutte contre les forces du mal, apprentissage d’un métier pour en vivre et expérimentation de la pauvreté itinérante, rassasiement comme faim et soif, amitié chaleureuse et consolante de même que traîtrise extrême, succès et échecs en tous genres, écoute bienveillante des foules et haine des gardiens de sa religion, fruits de sa mission et accusation de blasphème, acclamation à son entrée à Jérusalem et Passion, témoignage rendu à la Vérité et exécution, mort infâmante et résurrection triomphante (mais discrète).
En aucun cas, Dieu son Père n’a été cruel et ivre de son sang, comme d’aucuns en repoussent l’idée jusqu’à nier le sens sacrificiel de la croix, de l’agonie et de la mort de Jésus. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit.
Dieu n’octroie simplement aucun “passe-droit” à son Fils qu’il chérit au plus haut point. Il attend de lui qu’il embrasse l’humaine condition jusqu’à l’ultime témoignage de la compassion envers son prochain : là où l’humanité endure souffrance et privations, le Fils de Dieu, par solidarité absolue, les a aussi endurées. Et en particulier, toutes les souffrances et privations dues à l’injustice et à la malice du monde. Le Christ était en son incarnation l’Innocent absolu, le pur de tout péché, le seul homme qui pût se prévaloir de comprendre pleinement la volonté du Père et d’accéder à la Vérité de Dieu – qu’il n’a d’ailleurs pas pu révéler tout entière à son époque patriarcale obtuse et reléguant les femmes aux rôles de reproductrices serviles et sans culture…
Ce n’est qu’aujourd’hui, en ces temps de mondialisation sur tous les plans, de connaissance par chacun d’autres cultures et d’autres religions, et de progrès de la condition féminine, du moins en Occident, que les vérités ultimes peuvent advenir…
Ne pensons donc pas que le Dieu du Deutéronome soit périmé ou réservé aux Juifs, et encore moins que les reproches qu’il avait à adresser au Peuple de la Loi (nuque raide, religiosité hypocrite, xénophobie, injustice envers les plus démunis, marchandage financier de la grâce…) ne s’appliquent pas aussi à ses enfants d’aujourd’hui, de quelque religion qu’ils soient, y compris chrétiens.
Car il est fort orgueilleux d’imaginer que Dieu ait “changé” pour se conformer à l’image parfois tronquée que nos contemporains se fabriquent de Lui : certes, l’expérience de la paternité l’a fait frémir jusqu’en ses entrailles, si bien que la Miséricorde en afflue peut-être davantage qu’avant l’avènement du Christ, mais Il n’a pas renoncé pour autant à sa Justice supérieure à toute justice humaine. Ses yeux s’arrêteront toujours davantage sur les victimes de catastrophes ou de la malice d’autrui que sur la nuque raide des auteurs de leurs souffrances. Sa compassion ira toujours aux laissés-pour-compte de toute société, que ce soit par leur pauvreté, l’exploitation indue qu’ils subissent ou les discriminations de genre.
Et si Dieu use encore et encore de miséricorde, c’est devant le repentir sincère des malfaisants engagés à ne pas réitérer leurs manquements à Ses commandements, et s’Il comble encore de grâces ses enfants, c’est parce que son cœur magnanime est consolé par chaque œuvre humaine de bonne volonté, par chaque prière ajustée, par chaque louange bien à propos en gage de reconnaissance pour Ses innombrables bienfaits.
Ne noyons pas Dieu dans d’obscurs concepts trop cérébraux, ne négligeons pas de le voir tel qu’Il Est et à sa juste place, et ayons toujours pour Lui nos mercis, nos amen, et ensuite seulement nos s’il te plaît !