
Vous est-il déjà arrivé de porter en vous une conviction que vous êtes capable d’argumenter à l’extrême, et que le monde s’échine à vous empêcher d’exprimer publiquement ?
Je viens de vivre cela depuis la veille de Noël.
J’avais lu ce matin-là sur un groupe Facebook de débat théologique une méditation hallucinante, truffée de vieux poncifs catéchétiques assénés avec une assurance perfide, au sujet de la Nativité. J’y ai répondu avec toute ma fougue, jusqu’à me mettre en retard à un rendez-vous au marché de Noël – ce qui, au demeurant, avait fort peu d’importance. Mais pressée par ce rendez-vous, je n’ai pas pu sauvegarder mon texte.
Quelques heures plus tard, il avait disparu du fil de discussion sur ce groupe, la méditation initiale s’exhibait encore crânement, mais de réfutation de ma part, point. L’auteur de ce pavé indigeste ne l’avait pas assumée, et tout bonnement jetée aux oubliettes du net. La place était propre, avec quelques like, ce que ce monsieur désirait visiblement avant toute chose pour pouvoir continuer à bomber le torse, les pages les plus rétrogrades du catéchisme de l’Eglise catholique étant pour lui.
Passé le premier énervement, j’ai mis à profit une plage horaire du jour de Noël où ma famille – rien que des jeunes adultes – avait décidé de jouer tous ensemble à des jeux vidéo qui ne m’intéressent guère.
Me voilà donc, assise près de mes joueurs effrénés, à reprendre mon post de la veille sur ma tablette, en partageant la publication initiale pour la contre-argumenter, d’une façon plus calme et plus courtoise, ce que je ne trouvais pas plus mal finalement.
Mes arguments se déroulaient de façon limpide depuis environ une demi-heure quand la page Facebook se ferma brusquement, peut-être à cause d’une micro-seconde sans connexion. Et tout le post déjà rédigé et pas loin d’être achevé sur mon “Quoi de neuf ?” fut perdu, s’avérant irrécupérable malgré les essais de tous ces jeunes plus férus que moi en réseaux sociaux.
Pas contente, puis résignée.
Alors me voilà aujourd’hui sur le support plus sûr de mon blog pour exprimer ce qui m’insupporte dans la “théologie” de la Nativité. La Fête de la Sainte Famille et les nombreuses homélies lues ce jour y rajoutent une couche. Et pour compléter le tout, le passage aujourd’hui de vie à trépas de la célèbre Brigitte Bardot – paix à son âme – me procure un fil conducteur inattendu.
Il m’a donc fallu subir la veille de Noël la vieille insupportable justification catholique des douleurs de l’enfantement : il semblerait que le CEC n’ait pas encore renoncé à expliquer qu’une femme souffre en accouchant pour expier la punition divine infligée à Eve : ma fille tu as péché, donc tu vas souffrir en accouchant. Et toc, et bien fait pour toi.
Mais la sentence justifiée pour nous toutes, mes sœurs pécheresses en humanité, se heurte à la théologie de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie : non seulement Marie n’a pas eu de relations sexuelles avant d’enfanter le Fils de Dieu – ce qui est un article très ferme de ma foi personnelle – mais encore, elle est totalement pure et indemne du péché originel puisque la foi catholique l’affirme avec le dogme de l’Immaculée Conception, et donc bien sûr, Marie ne mérite pas la sentence divine, et donc, elle a accouché dans l’étable de Bethléem sans aucune douleur imméritée.
Accouchement facile, immédiat voire extatique, on ne peut qu’admirer la magnifique logique catholique, oh pardon, divine !
Nous femmes ordinaires souillées de péché n’avons plus qu’à admirer cette magnanime exonération divine de contractions, de poussée et de délivrance, et surtout ne pas nous demander comment le petit Jésus est sorti de là.
Ah oui pardon, ressuscité il traversait les portes, donc pas encore né il pouvait bien aussi se dématérialiser pour passer directement de l’utérus aux bras de Marie ! (argument catholique fréquent).
Merveille que le mystère de la Nativité, où la théologie et le catéchisme catholiques semblent avoir toutes les clés de l’énigme !
Personne dans cette histoire ne se met donc à la place du Créateur dans les sentences de la Genèse ?
Dieu était-il donc trop stupide pour prévoir que passé à la station debout, l’homme qui commence à se questionner sur le devenir des morts et à s’interroger sur la divinité allait progressivement croître en intelligence, la boîte crânienne se développant peu à peu au détriment de la mâchoire ? Qu’il y aurait donc de plus en plus de matière grise dans cet espace dédié au cerveau, que l’habileté manuelle s’affinerait parallèlement, que la capacité d’invention apparaîtrait, que l’homo sapiens sapiens rechercherait et construirait la connaissance, qu’il transmettrait un savoir de plus en plus grand à ses descendants ?
Et Dieu aurait été trop stupide pour anticiper que ce progrès de l’intelligence entraînerait à la fois le désir humain de Le quêter, et du même coup la résistance rationnelle aux signes qu’Il donnerait ? Que certains humains auraient du goût pour Lui, pour sa Volonté, pour l’histoire de son interaction avec les hommes, tandis que d’autres préfèreraient capter honneur et puissance pour eux-mêmes plutôt que pour un Dieu quel qu’il soit ?
Dieu n’aurait donc pas discerné à l’avance que la créature féminine, moins “glaiseuse” à l’origine que son vis-à-vis masculin, aurait une aptitude plus naturelle à l’obéissance à ses commandements, comme le montre l’attitude première – certes symbolique – du personnage d’Eve, qui fait mémoire de la recommandation divine face à un serpent trompeur et rusé ayant pour unique objectif de semer le doute dans son esprit ?
Et que se passe-t-il du côté du “glaiseux” pendant ce temps ?
Il assiste passif à la scène, n’intervient face au serpent ni en faveur de la femme, ni en mémoire de Dieu, bien trop content que sa compagne lui fournisse “le fruit défendu” qu’il convoitait lui-même, et dont il s’empresse par la suite d’user, tout en se défaussant sur elle, face au Créateur, de la captation coupable de l’objet défendu.
Personnellement, je ne vois là aucune faute d’ordre sexuel, mais bien plutôt la tendance tellement prégnante de l’homme à défier Dieu tout en rendant, au besoin, la femme responsable de tous les maux dès l’origine !
Et pour en revenir à la “punition” divine, en Genèse 3, 13-19, Dieu ne fait rien d’autre que d’anticiper les conséquences douloureuses pour la femme de l’augmentation de la capacité de la boîte crânienne du fœtus au fil des millénaires : plus l’humain sera intelligent, plus la tête du fœtus sera volumineuse et occasionnera des difficultés à traverser le bassin de sa mère qui n’est pas extensible à l’infini…
Aucune intention divine de “punir” les femmes à travers les siècles, péché ou pas, baptême ou pas, “Immaculée Conception” ou pas, seulement de la part de Dieu l’anticipation des conséquences de la progression en intelligence bonne ou maléfique du rejeton humain !
J’estime donc absolument stupide, discriminante et sans intérêt l’illusion emphatique de l’accouchement sans douleur de la mère de Jésus, lui qui n’était ni un primate dépourvu de cerveau, ni un alien capable de traverser par magie une matrice !
Ce long développement pour clore l’arrogante controverse sur la femme ayant forniqué et donc punie de douleurs d’enfantement par opposition à la Vierge Marie dont le Fils n’est né ni de Joseph, ni d’aucun autre géniteur masculin.
La vraie différence est là, entre Jésus exempt de toute tendance au péché, et tous les autres hommes qui se plaisent à dominer le monde, leurs compagnes et accessoirement à défier Dieu, et non entre Marie et les autres femmes.
Marie, à l’Annonciation, n’a écouté que l’ange, soit Dieu et sa propre conscience, et il appartient à chaque femme d’en faire de même dans sa foi : n’accepter aucune tutelle masculine en matière de spiritualité, le risque existant toujours de voir sa confiance naturelle en Dieu détournée par un médiateur masculin, qu’il soit son père, son conjoint ou un homme de pouvoir religieux, parfois malheureusement à son profit à lui.
Le deuxième avertissement de Dieu à Eve concernait son désir pour un homme qui entreprendrait de la dominer : configuration vieille comme le monde, quand la fascination pour une créature masculine et l’éventuelle pulsion de procréer abolit un temps le discernement féminin, rendant cette femme vulnérable à l’emprise, à la docilité à un homme et à la perte de vue de ses valeurs morales voire religieuses.
L’homme a tôt fait de détourner une femme d’un Dieu qui voulait la rendre libre et ferme dans sa foi : il va ainsi, comme le serpent des origines, trafiquer ou commenter insidieusement les Ecritures à son profit, pour lui instiller le doute et la soumettre à lui-même.
C’est ce piège-là que Marie a déjoué en obéissant à Dieu sans prendre l’avis d’aucun homme, elle a exercé sa liberté souveraine dans la foi en formulant un oui libre et autonome, même au risque de la lapidation.
Alors évidemment, à l’occasion de la Fête de la Sainte Famille aujourd’hui, les homélies catholiques instrumentalisent la Lettre aux Colossiens (3, 12-21) et les Ecrits de Ben Sirac (3, 2-6.12-14) pour nous remettre une couche de “Femmes soyez soumises à vos maris” et pour glorifier les pères dans les familles et justifier leurs prérogatives de domination sur épouse et enfants.
Jésus aura eu beau chercher, il y a 2000 ans, à libérer ses contemporaines de tous leurs jougs domestiques, sociaux et religieux, voici Paul – ou un autre rédacteur – fautif de versets recadrant les choses pour remettre même les chrétiennes sous la domination des maris et des responsables ecclésiaux.
Et pendant des siècles et des siècles – et ce n’est pas fini dans toutes les cultures – on va maintenir les filles dans l’ignorance, l’analphabétisme, la vie domestique et subalterne, pour leur barrer vaille que vaille l’accès aux révélations divines écrites qui pourraient pourtant les affranchir de toute domination !
Ne soyons donc pas silencieuses et soumises comme une Vierge Marie fabriquée par des siècles d’ecclésiologie masculine, mais tout au contraire libres, fermes dans notre foi et à l’écoute de Dieu et de Lui seul, le Verbe ayant tant lutté pour nous délivrer de la domination des hommes !
Je conclurai sur Brigitte Bardot : voilà une femme que tous les hommages rendus aujourd’hui célèbrent comme éminemment libre, émancipée, novatrice, en avance sur son siècle.
Comme tout le monde en France et au-delà, je suis éblouie par sa beauté jeune et jusque dans un âge plus mûr, je suis émue de ses chansons faussement naïves, de sa voix sensuelle, de son jeu d’actrice irrésistible, je salue son combat loyal pour le bien-être animal – beaucoup moins ses options politiques – mais je dis :
Attention ! Ne qualifions pas trop vite une femme de libre quand elle joue en permanence sur la corde risquée du désir masculin ! Ne la croyons pas émancipée simplement parce qu’elle se donne à voir, furieusement belle, à des multitudes, et qu’elle comble de multiples amants de l’orgueil de l’avoir conquise !
Comme le soulignait il y a quelques années Sœur Emmanuelle, une femme véritablement libre, c’est celle qui place sa liberté au-delà du désir, de l’approbation, de la domination et de la dépendance d’un homme quel qu’il soit !
La seule vraie liberté se trouve en Dieu et en Lui seul, acquiescer à son amour incomparable et faire sa Volonté, même quand elle paraît insensée.
Son temps n’est pas le temps des hommes, mais quand on ne prétend pas faire l’économie de la Croix de son Fils, on peut avoir une vie terrestre insignifiante voire exigeante à l’extrême en sacrifices de tous ordres, mais on y gagne une liberté inaliénable dès ici-bas et déjà, une éternité de délices.
Véronique Belen
28 décembre 2025
Image : Vierge à l’Enfant dite de Niedermorschwihr, vers 1500, Musée Unterlinden de Colmar