En ce temps-là, Jésus disait aux foules : «Le royaume des Cieux est encore comparable à un filet que l’on jette dans la mer, et qui ramène toutes sortes de poissons.
Quand il est plein, on le tire sur le rivage, on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien.
Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges sortiront pour séparer les méchants du milieu des justes
et les jetteront dans la fournaise : là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. »
« Avez-vous compris tout cela ? » Ils lui répondent : « Oui ».
Jésus ajouta : « C’est pourquoi tout scribe devenu disciple du royaume des Cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien. »
Lorsque Jésus eut terminé ces paraboles, il s’éloigna de là.
Matthieu 13, 47-53
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible – © AELF, Paris
C’est à dessein que j’ai isolé ce verset de l’évangile du jour pour en faire le titre de cette méditation.
En effet, il comporte au moins trois notions théologiques qui sont de nos jours niées par la plupart des chrétiens, influencés par un discours ecclésial ambiant qui se veut rassurant et travestit des vérités bibliques essentielles pour contenter tout le monde et surtout donner bonne conscience aux quelques derniers pratiquants qui persévèrent à fréquenter des églises.
La première de ces notions, c’est la fin du monde. Car si elle est largement traitée au cinéma d’action qui exploite ce thème pour mettre en valeur de super héros sauvant la planète Terre au terme de combats musclés contre des puissances maléfiques, avec force effets spéciaux, l’Eglise a depuis longtemps abandonné ce sujet qu’elle croit désuet et réservé aux Témoins de Jehovah ou aux sectes apocalyptiques.
Et là je dis : lourde erreur !
Les homélies et prédications anesthésiantes qui confondent la fin du monde avec notre propre mort, les théologies contemporaines qui dissèquent les Ecritures pour mieux les relativiser voire dénier l’inspiration divine de certains passages bibliques, les conceptions totalement anachroniques d’un Royaume de Dieu qu’il nous appartiendrait de bâtir nous-mêmes sur cette terre, alors qu’elle est écologiquement parlant dans un état irrémédiablement dramatique et en outre à feu et à sang par la volonté d’hommes de pouvoir assoiffés d’hégémonie territoriale et de suprématie militaire, tout cet aveuglement humain conduit même les chrétiens à ne plus parvenir à lire les signes des temps et à s’imaginer évoluer librement dans un monde pérenne et une Eglise au long cours. Ils n’envisagent, quand toutefois ils y pensent, plus qu’une mort ouvrant sur un paradis offert à tous, passage qu’ils imaginent aisé, tant on leur prêche une Eglise triomphant de toute façon du mal et un au-delà de béatitude acquis d’un coup d’éponge magnanime sur leurs torts quels qu’ils soient, le Bon Dieu n’étant que miséricorde, pardon, bras ouverts à tous…
Or Jésus est très explicite dans cette ultime parabole sur le Royaume de l’Evangile de Matthieu : il y parle de séparer les méchants du milieu des justes.
Et là aussi, une certaine Eglise est dans le déni des mots employés : méchants ? justes ? Et il faudrait encore les séparer ?
Déni contemporain, en Eglise, du fait que des justes puissent exister ici-bas, puisque selon la formule consacrée : “Nous sommes tous pécheurs.” On est prié de battre sa coulpe et d’aller confesser ses fautes, même les moindres, même si on est une personne soucieuse de vivre concrètement au quotidien l’Evangile, dans la justesse, le souci de l’autre, la recherche du pardon accordé à son offenseur et l’abnégation…
Déni aussi du fait que certains puissent être d’authentiques méchants, et là malheureusement l’époque n’est pas à l’angélisme et à la concorde sociale, mais bien plutôt à la roublardise, à l’usage de l’arnaque pour dépouiller son prochain, à la violence physique et psychologique jusqu’au sein des couples, au management toxique au travail, à la recherche des intérêts de son petit moi qui conduit à piétiner autrui, au vol, au viol, au crime, au meurtre…
Jusqu’à quand se voilera-t-on la face, en Eglise, au sujet de la perversité qui gagne du terrain partout dans nos sociétés développées, et qui se traduit parfois dans les contrées plus déshéritées par des conflits ethniques sanglants et bien trop souvent par une oppression inique des femmes et des filles ?
Alors certes, la conversion du cœur et de l’agir est toujours possible, la rédemption de l’âme est à la portée des malfaisants et malfaiteurs qui se repentent et changent de comportement de leur vivant, mais combien de personnes qui passent leur vie à nuire à autrui n’en conçoivent jamais aucun remords ? Et il faudrait leur annoncer un paradis prospère où ils côtoieront, sans s’être jamais amendés, leurs victimes à la vie terrestre gâchée par eux ?
Aujourd’hui, j’ai lu quantité de pieux commentaires bibliques nous enjoignant à faire le tri entre les bons et mauvais poissons tirés du filet de notre conscience… Certes, cela est nécessaire.
Mais devant le spectacle désolant qu’offre le monde contemporain, devant les escalades de violences inouïes et d’inégalités croissantes à tous les niveaux, en ma foi, j’appelle au secours le Dieu Trinité, le suppliant de nous renvoyer son Fils dans l’espoir de l’instauration d’un Royaume qui ne se fera jamais ici-bas, l’implorant que l’Esprit Saint éclaire chaque âme quant à sa conformité à la Justice divine ou à sa noirceur de nuisance, et lui demandant de hâter le jugement eschatologique pour mettre fin à l’intolérable souffrance de tant de justes qui endurent les agissements sans scrupules de méchants infiltrés partout.
Image : Triptyque du Jugement dernier, Rogier van der Weyden, Hospices de Beaune (Détail)